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COTISATIONS SOCIALES

La prescription des demandes de remboursement des cotisations accidents du travail indûment versées : un revirement spectaculaire de la Cour de Cassation à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité

Cass. Civ. 2, 10 juillet 2014, n° 13 .25985 – FS-P+B

L'année 2013 a été marquée par une série d'arrêts rendus par la Cour de Cassation sur les causes interruptives de la prescription instituée par l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale en matière de demandes de remboursement des cotisations AT indument versées par une entreprise.

La 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation avait en effet le 24 janvier 2013 (arrêt OGF), puis à plusieurs reprises au cours de l'année qui a suivi, considéré que l'action engagée auprès de la commission de recours amiable de la CPAM, du tribunal des affaires de sécurité sociale ou de la Cour d'appel par une entreprise en contestation d'une décision de prise en charge au titre de la législation du travail d'un sinistre afférent à l'un de ses salariés, n'interrompait pas le cours de la prescription de la demande de remboursement des cotisations que la décision découlant de cette contestation avait pourtant notamment pour finalité et aurait du avoir pour effet (1) .

Elle en jugeait de même s'agissant des actions portées devant les juridictions du contentieux de l'incapacité en contestation des taux d'incapacité permanente partielle attribués à des salariés en indemnisation des séquelles d'un sinistre professionnel et dont le coût est supporté par l'employeur (2).

Même engagées avant l'expiration du délai de trois ans suivant le paiement des cotisations indûment versées, ces actions amiables ou judiciaires restaient ainsi stériles.

Il n'en fallait pas plus pour qu'une entreprise n'estime que l'atteinte portée à son droit de propriété, à son droit à un recours effectif et à divers principes constitutionnels ne doive être dénoncée.

Ainsi, à l'occasion d'un contentieux en tarification déjà pendant devant la Haute Cour, une question prioritaire de constitutionnalité lui a été déférée concernant les dispositions de l'article L243-6 du code de la sécurité sociale.

Par un arrêt en date du 10 juillet 2014, la Cour de Cassation refuse de renvoyer cette question au Conseil Constitutionnel au prix d'une motivation inattendue de sa décision.

LES FAITS

Après avoir obtenu une décision favorable pour faire écarter de ses comptes employeur servant au calcul de ses taux de cotisations à compter de l'année 2003, les dépenses de santé versées à l'un de ses salariés en relation avec la rechute d'un sinistre professionnel, l'entreprise P. obtient la rectification de ses taux de cotisations impactés et réclame à l'URSSAF Midi Pyrénées le remboursement des cotisations trop versées sur la période considérée.

L'URSSAF lui refuse ce remboursement au motif que la demande intervient au-delà du délai de trois ans instauré par l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale et que ce délai n'a pas été interrompu par l'action qui avait été engagée en contentieux général de la sécurité sociale aux fins de contestation de la rechute ci-dessus visée.

Après une première étape judiciaire devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la Cour d'appel de Toulouse, par un arrêt du 6 septembre 2013, écarte la prescription de la demande de remboursement opposée par l'URSSAF Midi Pyrénées, qu'elle condamne donc à rembourser à l'entreprise P. les cotisations indument versées.

C'est sur un pourvoi formé par l'URSSAF Midi Pyrénées, qui entend se prévaloir de l'arrêt OGF du 24 janvier 2013, que la Cour de cassation est finalement saisie par l'entreprise P. d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant les dispositions de l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale.

L'ARGUMENTATION

La société P. développe son argumentaire sur l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L243-6 du code de la sécurité sociale autour de trois axes :

Elle s'interroge en premier lieu sur la conformité de cette disposition au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des Droits de l' Homme et du Citoyen du 26 août 1789, qui figure au préambule de la Constitution, dès lors que la prescription qu'elle institue n'est pas interrompue par le recours exercé contre une décision de l'organisme de sécurité sociale générant le versement de cotisations indues et qu'elle prive ensuite l'entreprise requérante du droit de réclamer le remboursement de cotisations qui ne peut intervenir qu'une fois que le caractère indu est précisément (et judiciairement) reconnu.

Elle soulève en second lieu la question de la conformité de cette disposition aux articles 2 et 17 de la même Déclaration des Droits de l'Homme et du CItoyen du 26 août 1789 en raison de l'atteinte illégitime au droit de propriété qu'elle génère dès lors que le point de départ du délai de prescription triennale est fixé par ce texte à la date de versement des cotisations indues alors que, dans le même temps, l'employeur est contraint d'attendre l'issue d'une procédure qui n'est pas en elle-même interruptive de prescription, puis la notification du taux de cotisations rectifié, avant de connaître le montant exact de la créance qu'elle détient contre l'URSSAF et de pouvoir en réclamer par suite le remboursement à cet organisme.

Enfin, la constitutionnalité de l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale est soulevée au regard des principes constitutionnels de clarté et de précision de la loi, d'exigence de sécurité juridique et d'égalité devant la loi garantis par les articles 1er et 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dès lors que cette disposition légale ne détermine pas le régime juridique de la prescription qu'elle instaure et n'aménage notamment pas les modalités de son interruption par l'introduction d'une contestation de la décision de l'organisme de sécurité sociale qui génère une inscription en compte employeur et le paiement de cotisations qui s'avèrent finalement indues.

LA DECISION, SON ANALYSE, SA PORTEE

La Cour de Cassation, dans son arrêt du 10 juillet 2014, rejette la question prioritaire de constitutionnalité en articulant son raisonnement sur deux moyens.

Elle retient d'abord que «la question, ne portant pas sur l'interprétation de dispositions constitutionnelles dont le Conseil Constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle».

Ce premier motif de refus du renvoi de la question au Conseil Constitutionnel est, en soi, déjà critiquable.

Par cette motivation, la Haute Cour considère en effet que la recevabilité d'une question prioritaire de constitutionnalité s'apprécie au regard de l'interprétation de dispositions constitutionnelles.

Or, la question prioritaire de constitutionnalité ne vise pas tant l'interprétation de dispositions constitutionnelles que le respect de ces dispositions par le législateur dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de légiférer.

C'est donc forcément au regard des mêmes dispositions constitutionnelles et des principes constitutionnels parmi lesquels les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes généraux du droit à valeur constitutionnelle que doit être appréciée la conformité d'un texte législatif et que le Conseil Constitutionnel remplit d'ailleurs son office dans le respect de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 issu de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Dès lors, on ne voit pas bien en quoi le fait d'avoir déjà soumis par le passé au Conseil constitutionnel la conformité d'un texte de loi sur un tout autre sujet que celui de la prescription des demandes de remboursement de cotisations sociales par rapport aux principes d'exercice d'un recours juridictionnel effectif, d'égalité devant la Loi et par rapport au droit de Propriété, ferait obstacle à ce que la conformité de l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale soit examinée par les Sages.

Par ailleurs, le caractère nouveau d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui détermine sa recevabilité, ne s'apprécie pas tant au regard des dispositions constitutionnelles par rapport auxquelles la conformité d'un texte de loi est débattue, qu'en fonction de la réponse à la question de savoir si la constitutionnalité de ce texte a déjà été déférée au Conseil Constitutionnel, soit avant la promulgation de la loi, soit à l'occasion d'une précédente question prioritaire de constitutionnalité, et a donc déjà fait ou non l'objet d'une déclaration de conformité.

Par cet arrêt du 10 juillet 2014, la Cour de cassation ne se détermine précisément pas par rapport aux critères de recevabilité d'une question prioritaire de constitutionnalité tels que prévus dans le cadre de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Mais c'est surtout en son deuxième motif d'arrêt que la Haute Cour surprend le plus les commentateurs puisqu'elle indique « que lorsque l'indu résulte d'une décision administrative ou juridictionnelle, le délai de prescription ne peut commencer à courir avant la naissance de l'obligation de remboursement découlant de cette décision ».

En d'autres termes, selon la Haute Cour, le délai de prescription triennale prévu par l'article L243-6 du code de la sécurité sociale ne commence à courir qu'à compter de la date à laquelle la commission de recours amiable de la CPAM, le tribunal des affaires de sécurité sociale, le tribunal du contentieux de l'incapacité ou la juridiction d'appel, rend la décision qui permet à l'employeur de réclamer le remboursement de cotisations indues.

On est loin de la solution retenue par la Haute Cour, aux termes de l'arrêt OGF précité.

Mieux même, la Cour de cassation va bien au-delà de la solution qu'elle avait élaborée dans le cadre de cette décision retentissante et vivement critiquée.

En effet, par cet arrêt, les magistrats de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avaient statué uniquement sur la notion d'interruption du délai de la prescription de l'article L243-6 du code de la sécurité sociale et avaient précisément refusé de reconnaître un effet interruptif aux actions aux fins de contester l'opposabilité à une entreprise des décisions des organismes de sécurité sociale relatives à un sinistre professionnel reconnu au bénéfice de l'un de ses salariés ou à l'indemnisation des séquelles de ce sinistre.

Il en découlait que les incidences des recours des employeurs aux fins de contester l'opposabilité à leur égard d'une décision de prise en charge d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ou d'une décision attributive de rente d'incapacité permanente partielle étaient en effet anéanties quand bien même ces recours avaient été introduits dans le délai triennal courant à partir de la date de versement des cotisations influencées par le sinistre contesté.

Par son arrêt du 10 juillet 2014, la Cour de cassation ne statue pas sur les modalités d'interruption du délai de prescription triennale, mais bel et bien sur le point de départ de ce délai.

Cet arrêt a donc une portée bien plus conséquente que l'arrêt OGF et il serait réducteur de ne le considérer que comme un revirement jurisprudentiel.

Jurisprudence contra legem ?

Si cette décision s'accorde avec les nécessités constitutionnelles (sic!) d'accès à la Justice, d'égalité devant la Loi, de sécurité juridique et de protection du droit de Propriété, elle s'inscrit surtout en opposition au texte même de l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale.

Pour rappel, l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale dispose en son premier alinéa que «la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées».

En retenant que le point de départ de ce délai ne peut commencer à courir avant la naissance de l'obligation de remboursement des cotisations qui découle elle-même précisément de la décision sollicitée par l'entreprise auprès de la CPAM, du tribunal des affaires de sécurité sociale ou du tribunal du contentieux de l'incapacité, la Haute Cour s'affranchit donc de toute référence à la date de paiement des cotisations qui s'avèrent finalement indues.

La deuxième chambre civile semble donc retenir une motivation à sa décision de rejet de la question prioritaire de constitutionnalité qui va à l'encontre du texte même de l'article L243-6 du code de la sécurité sociale.

Sous couvert d'interpréter ce texte, elle le dénaturerait donc.

De deux maux, la Haute Cour ne choisit-elle pas le moindre ? mais à quel prix ?

Il ne faut surtout pas omettre que la décision de la Cour de cassation du 10 juillet 2014 tend au rejet de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise.

Ainsi, elle prive l'entreprise P., et au-delà le Conseil des Sages lui-même, de se pencher sur la conformité à la Constitution du 4 octobre 1958 de l'article L243-6 du code de la sécurité sociale.

Dernier rempart contre une éventuelle censure constitutionnelle, la Cour de cassation n'en doit pas moins faire des concessions par rapport à ses propres solutions jurisprudentielles antérieures, dont la première d'entre elles ne l'oblige pas seulement à opérer un revirement par rapport à sa jurisprudence OGF, mais bien à aller au-delà, en fixant le point de départ du délai de prescription de l'action en remboursement de cotisations sociales indues à la date de la décision dont découle nécessairement cette demande, fut ce en contradiction du texte de loi lui-même qu'elle est tenue pourtant de faire respecter.

D'aucuns estimeront que cette solution reste encore préférable à une déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L243-6, laquelle ouvrirait une voie royale à des demandes de remboursement de cotisations indues en masse, et dans une proportion bien plus considérable que la motivation de l'arrêt du 10 juillet 2014 le permet finalement, ce qui génèrerait un déficit massif dans les comptes publics, et plus particulièrement ceux de la sécurité sociale dont le redressement s'opère depuis trois ans à marche forcée sur le compte des entreprises notamment par une inflation des demandes de reconnaissance de maladies professionnelles, bien souvent en violation répétée de leurs droits, y compris lorsqu'ils sont protégés par les Lois fondamentales de la République.

Au demeurant, la Cour de cassation, et à son instar, les juridictions françaises, peuvent estimer que la portée de la motivation de cette décision reste très relative tant l'insécurité juridique domine l'activité juridictionnelle depuis quelques décennies et semble d'ailleurs être entrée dans les us et coutumes judiciaires alors qu'elle génère des conséquences dommageables.

Par ailleurs, l'autorité judiciaire ne détient pas le pouvoir de faire la Loi, et, ses arrêts et jugements n'ont en principe qu'une portée limitée, bien moindre que celle d'un texte de Loi.

La Haute Cour aura enfin toute latitude d'apporter ultérieurement à sa décision du 10 juillet 2014 des atténuations salutaires aux finances de l'État.

On ne peut en toute hypothèse rester taisant devant cette évolution des rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire car, jusqu'à nouvel ordre, une séparation stricte des pouvoirs garantit le fonctionnement démocratique de nos institutions.

L'autorité judiciaire ne détient précisément pas plus le pouvoir de «défaire» la Loi que de la faire.

L'arrêt du 10 juillet 2014 s'avère donc être une jurisprudence bien dérangeante à maints égards, dans la pratique quotidienne du conseil aux justiciables, comme dans une réflexion plus distante sur l'équilibre des institutions étatiques.

(1) Chronique «contestation d'accidents du travail et de maladies professionnelles : retour sur une année de jurisprudence (erratique) (Partie 1)» JSL n° 362 du 24 mars 2014
(2) Cass civ, 2, 4 avril 2013 – pourvoi n° 12-14004